Par Grégory MICHEL, Professeur de Psychopathologie et Psychologie Clinique (Université Bordeaux Segalen) et Julie SALLA, Doctorante en Psychopathologie et Psychologie Clinique (Université Bordeaux Segalen)
Au-delà des effets positifs qu’elle peut engendrer, la pratique sportive intensive peut générer des débordements qui s’avèrent préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant comme de l’adolescent. Ainsi, la réussite précoce d’un jeune sportif peut devenir un enjeu pour son entourage proche et plus éloigné. Ce phénomène qualifié de « Syndrome de réussite par procuration » peut entraîner des dysfonctionnements graves de la parentalité.
De quoi s’agit-il ?
Ce syndrome correspond à une volonté extrême d’obtenir l’excellence, dépassant très largement l’ambition normale des parents pour leur enfant. C’est dans le caractère excessif de cette ambition démesurée que se loge la potentialité destructrice du syndrome de réussite par procuration. Celui –ci peut se retrouver dans plusieurs domaines : sport, musique, école… Dans ce syndrome, les parents sur-stimulent, sur-investissent, le talent et la réussite de leurs enfants au point de conditionner l’amour parental aux expériences de succès. Les entraîneurs peuvent aussi favoriser ces comportements soit directement, soit par l’intermédiaire d’une collaboration passive avec les parents. Ce processus conduit inexorablement à la perte de vue des besoins de l’enfant et pourra s’accompagner de maltraitance et d’abus dans sa forme la plus pathogène.
Caractéristiques cliniques du syndrome de réussite par procuration
Tout commence par l’inscription de l’enfant par l’adulte dans une situation valorisée socialement dans laquelle il existe un risque d’exploitation des qualités de l’enfant en lien avec les ambitions et les désirs non satisfaits de l’adulte, des parents la plupart du temps.
Le processus correspond alors à une perte de vue progressive des besoins de l’enfant. Différents marqueurs et signaux d’alerte se mettent en place progressivement, marquant des phases de gravité successives de ce phénomène.
1/ La phase de sacrifice ou pseudo-altruisme qui se caractérise par :
- Une centration familiale autour de l’activité compétitive de l’enfant.
- Une logistique fondée sur la construction de la réussite et les espoirs de succès (déménagement par exemple).
- Un isolement social progressif puis massif de l’enfant au profit de l’activité valorisée.
- Le caractère factice de la mise avant du bon parent qui agit pour le bien de l’enfant.
2/ La phase d’instrumentalisation se caractérise par :
- Une perception unidimensionnelle de l’enfant en lien avec son domaine de prédilection tant par ses parents que par l’enfant lui-même.
- L’objectification de l’enfant à des fins de réussite et de performance.
- L’enfant qui devient le moyen de répondre aux attentes sociales, financières et narcissiques des parents.
- Un amour parental conditionné aux seules performances et réussites de l’enfant
3/ La phase de maltraitance caractérisée par :
- Une certaine violence émotionnelle et psychique (critiques, humiliation, harcèlement).
- Des abus physiques comme des entraînements forcés en cas de maladies ou de blessures, des injonctions répétées de perte de poids, le non respect des rythmes de récupération de l’enfant, des formes insidieuses de dopage (les exemples ne manquent pas, le tennisman André AGASSI est le plus médiatique !).
Un travail de prévention et de repérage doit être effectué, afin que les enfants talentueux soient à l’abri des comportements destructeurs proférés par leur entourage, qu’il s’agisse de la famille mais aussi des encadrants sportifs. Cela passe par la formation de cliniciens et autres professionnels de l’enfance et du sport, capables d’identifier les situations à risque et de déceler les signes avant coureurs de ce syndrome.
Des actions de préventions secondaires sont mises en place dans certains pays (Canada dans l’état du Québec ou Irlande). Elles s’inscrivent dans une perspective d’éducation à la santé des jeunes sportifs et de leur entourage. Soulignons notamment l’existence d’un livret de guidance parentale fondé sur des recommandations et des conseils portant sur les enjeux et les conséquences de la pratique sportive intensive chez les enfants. Il pourra ainsi s’agir d’interroger les parents sur leurs propres motivations, sur ce que soulève en eux la réussite de leurs enfants et de pointer avec eux la nécessité de ne jamais perdre de vue que leur enfant reste avant tout un être en devenir, se façonnant selon ses expériences et ses échanges avec son entourage. Il s’agit aussi de rappeler que les besoins développementaux de l’enfant doivent être privilégiés et respectés.
Les entraîneurs pourraient également bénéficier de ces recommandations afin d’être mieux à même d’identifier des attitudes et les comportements parentaux pathogènes. Ce serait également l’occasion pour eux de s’interroger sur leurs propres motivations vis-à-vis des jeunes champions.
Pour aller plus loin
Psychologie du sport et de la Santé, sous la direction de Greg DÉCAMPS, Ed De Boeck 2011
Le syndrome de réussite par procuration ; chapitre 20 p